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DÉGRADATION DES PROGRAMMES SUR FRANCE CULTURE

Transcription de l'émission "Chroniques rebelles" du 22 avril 2000 à 14h30.
Radio Libertaire / 89.4 MHz à Paris.

RADIO LIBERTAIRE : Nous allons passer en deuxième heure, et nous allons nous intéresser un peu à France-Culture, et par delà même à Radio-France, sur la réorganisation des programmes, nous allons discuter un peu quelles sont les orientations, quelles sont les modifications au niveau des émissions, ce qui est envisagé actuellement au niveau de la direction de Radio-France, et aussi quelles sont les conséquences au niveau de la production, de la création d'émissions dans la radio. Nous aurons pour cela autour de la table un certain nombre d'intervenants, à qui je demanderai de se présenter...

Patrick CHAMPAGNE : En tant que représentant de l'ACRIMED, l'Action Critique Medias...

Éric BRIAN : J'ai participé à un appel nommé Délit d'Initiés, diffusé sur le web et par courrier, qui a mobilisé un certain nombre de signatures, pour poser ces problèmes-là, justement.

Laurent LEDERER, comédien, je représente ici le Comité de Résistance des Artistes pour Radio-France, qui regroupe notamment des artistes non-syndiqués, le Syndicat National Libre des Artistes (SNLA-FO), et mon syndicat, le Syndicat Français des Artistes Interprètes (SFA-CGT).

Antoine LUBRINA : Je suis là au titre du Rassemblement des Auditeurs Contre la Casse de France-Culture.

RADIO LIBERTAIRE : Messieurs, nous allons donc parler de France-Culture, une des radios de Radio-France, concurrente et en même temps complémentaire de Radio-Libertaire, pourriez-vous nous rappeler, pour commencer, quelles sont les spécificités de France-Culture ? Pourquoi l'écoutez-vous ?

Patrick CHAMPAGNE : D'abord parce que c'est une radio qui n'est pas comme les autres, qui s'est construite très lentement, avec beaucoup d'enthousiasme militant, de militantisme culturel, avec des producteurs remarquables, qui étaient d'ailleurs souvent à l'origine des auditeurs fidèles de France-Culture, et qui avaient envie, à leur tour, de participer à un véritable travail de création culturelle puisque France-Culture est moins une station de diffusion culturelle qu'une station de création culturelle. Il y a là un aspect essentiel sur lequel on aura l'occasion de revenir puisque c'est une des choses que la réforme qui a été entreprise il y a maintenant plus de six mois, presque un an, par la nouvelle direction tend à remettre en cause. France Culture était une radio pas comme les autres. Quand on tombait dessus, on savait qu'on était sur France-Culture parce qu'il n'y avait pas de publicité, parce qu'il y avait un rythme particulier, une manière... Par exemple, les sujets traités ne procédaient pas de l'actualité la plus immédiate bien qu'ils permettent très souvent de mieux comprendre celle-ci. Cette radio s'est construite petit à petit, avec beaucoup d'énergie, de dévouement, de passion par des producteurs qui étaient souvent mal payés, en tout cas beaucoup moins que ceux qui viennent d'être embauchés et que l'on a fait venir à grands frais. La réforme remet fortement en cause toute cette construction fragile et détruit en fait la spécificité même de cette radio culturelle pas comme les autres.

RADIO LIBERTAIRE : Vous avez parlé de production. Pourriez-vous préciser comment ça se passait ? Les gens qui produisent font partie de France-Culture, ou bien viennent-ils de l'extérieur ? Ca se passait comment ?

Éric BRIAN : Il y a des statuts extrêmement variables et précaires, et c'est un des problèmes, parce que par exemple, il m'arrivait d'être auditeur de France-Culture, mais il m'arrivait aussi d'intervenir dans certaines émissions comme invité, et nous avions pour cela un interlocuteur qui était le producteur, quelqu'un qui avait lu les livres, et qui réfléchissait un peu à tout ça, sur le long terme, et qui, au bout d'un certain temps, se disait, tiens, ce serait intéressant de faire quelque chose là-dessus, bref ils construisaient ce qu'ils faisaient, ils savaient ce qu'ils faisaient, c'est le fond de l'affaire. Généralement, ils le faisaient avec beaucoup de passion, comme l'a dit Champagne, et ils n'étaient donc pas trop regardants sur les conditions statutaires... Ce qui s'est passé il y a six mois est assez simple, c'est que tous ces gens se sont retrouvés fichus dehors, justement parce qu'ils étaient trop fragiles sur le plan statutaire, et ils ont été remplacés par des gens qui n'investissent pas du tout les mêmes choses, du point de vue de la conception d'une émission. Qu'est ce que ça engage fondamentalement ? L'idée qu'un producteur est-il un auteur, oui ou non ? Comme un réalisateur de films ? Y-a-t-il une identité de son travail intellectuel ? L'appel auquel j'ai participé disait que, non seulement c'est le cas, mais qu'en plus on en a tous besoin. C'est à dire que les gens qui viennent s'exprimer sur cette radio ont besoin de gens qui font ce travail-là, que je ne sais pas faire, je suis universitaire et pas du tout homme de radio. J'ai cependant des collègues qui ont saisi l'occasion des réformes pour s'infiltrer à France-Culture, parce que c'est flatteur, on a sa petite audience, et ils le font très mal, ce boulot-là. C'est le fond de l'affaire : Il y a un vrai travail, un travail d'auteur, qui a été saccagé, et pourquoi ? Cela touche directement les deux points soulevés par Champagne, en ceci : C'est qu'avant, c'était une radio qu'on écoutait, il fallait faire attention, et puis il y a eu une nouvelle politique, d'un point de vue économique très simple, qui consistait à changer cette cible : ça ne sert à rien d'avoir 4% de gens très attentifs : Il vaut mieux avoir un pourcentage supérieur, mais de gens flottants, pas très attentifs, qui vont écouter comme ça, en passant...Alors évidemment, si on leur donne des trucs auxquels on a un peu réfléchi avant, où il y a un travail d'écoute à effectuer, ça ne facilite pas le zapping d'une chaîne à l'autre. C'est à dire que la disparition de cette identité de radio qu'on reconnaissait va de pair avec une certaine uniformisation du produit, parce qu'il s'agit de faire disparaître cette demande de gens qui étaient attentifs. Or c'est là que jouaient les producteurs, c'étaient des gens qui savaient entretenir cette attention, qui savaient trouver ceux qui savaient parler de telle ou telle chose, et alimenter cette attention.

Antoine LUBRINA : Je voulais dire que je ne suis pas de la maison, je n'ai pas participé à une émission, mais je suis un simple auditeur, je suis instituteur, comme la plupart des membres de notre groupe, et nous avons rencontré énormément de gens, nous distribuons des tracts au Collège de France, à l'Odéon, au CNAM, un peu partout, au Salon du Livre aussi, et on s'aperçoit que les gens sont ravis en lisant ce tract, car ce sont des gens blessés. Des gens de toutes conditions, pour qui cet outil correspondait à une réelle qualité de vie. Moi, je l'ai écouté pendant trente ans, j'écoutais la Comédie Française, des feuilletons fabuleux, j'avais des repères comme Henri Guillemin, par exemple, qu'on écoutait systématiquement, il y avait des universitaires qui parlaient d'une manière très simple, qui nous envoyaient acheter des livres de tous côtés, mais maintenant on n'a plus rien. Je dois avouer que je ne suis pratiquement plus auditeur de France-Culture, je ne trouve plus rien. Nous, nous nous voulons davantage sur le terrain, pour mobiliser, sachant que les pouvoirs publics sont obligés de céder quand on se manifeste de manière suffisamment puissante, c'est ce qu'on a décidé de faire. Mais nous n'avons pas fait les analyses de fond de l'Acrimed ou de Délits d'Initiés. On se veut complémentaires...Pour résumer, il y avait une qualité de programmation extraordinaire, et les universitaires, comme les gens très simples, ont trouvé là une nourriture et non un produit commercial, un peu comme l'ORTF avant démantèlement et introduction de la publicité. Or des gens comme Cavada viennent du spectacle et du commerce. On n'a rien contre eux, mais qu'ils y restent... On a besoin de qualité, pour réfléchir et se nourrir.

Patrick CHAMPAGNE : Je voudrais faire une remarque. La critique qui a été menée, d'abord par les producteurs qui ont vu leurs conditions de travail changer, pour certains, radicalement, puisqu'ils étaient remerciés, puis par des auditeurs qui se sont aperçus qu'on leur changeait leur radio, s'est inévitablement focalisée sur Laure Adler. Celle-ci a cru qu'elle était victime d'une cabale alors que peu importait la personne, le problème n'étant pas là. Je dirais même qu'il était d'autant moins là que Laure Adler, qui fut elle-même auparavant productrice à France-Culture, a soulevé, à sa nomination à la tête de la station, et j'en ai eu des témoignages, de la part de nombre de producteurs, de gens de la maison, un réel enthousiasme On s'est dit : Voilà quelqu'un qui connaît la maison. Elle a eu donc bénéficié d'un préjugé favorable. Alors que s'est-il passé ? C'est simple. Les déclarations sont une chose et la réalité une autre et, au bout de quelques mois, le résultat était là, constatable non seulement par les producteurs, mais aussi par les auditeurs qui, pourtant, ignoraient ce qui se passait dans la maison ronde. J'ai eu de nombreux témoignages d'auditeurs qui ont fait la même expérience : on allume son poste et l'on se dit : Tiens, un de mes enfants a dû changer la fréquence car ce n'est pas France Culture. Et vérification faite, ils s'apercevaient avec consternation qu'ils étaient bien sur France-Culture (ou sur France Musiques). L'antenne était là aussi comme polluée par les mêmes jingles qu'on entend sur les radios privées, on y traitait des mêmes problèmes d'actualité, comme sur les radios privées, il y avait les mêmes talk show, les mêmes musiques à la mode, etc. C'est tout un univers culturel cohérent et spécifique qui disparaissait. Pourtant, il y a un public cultivé ou qui souhaite se cultiver et il a, lui aussi, le droit d'avoir une radio. Tout le monde n'a pas envie d'entendre les mêmes choses au même moment. C'est pourquoi ce changement de France-Culture a été mal vécu par les auditeurs de cette radio parce qu'ils étaient très attachés à celle-ci et parce qu'ils n'avaient pas la possibilité d'aller écouter ailleurs les programmes qu'ils aimaient. La réaction des auditeurs a été très spontanée. Ils n'avaient aucune idée de la crise qui secouait la station et pouvaient même être séduits par les déclarations des nouveaux responsables.

Éric BRIAN : Ce qu'il faut voir aussi, c'est qu'avant, France-Culture changeait, dans les derniers mois avant l'arrivée des nouveaux dirigeants, il y avait eu des manœuvres dans ce sens-là Mais il faut comprendre aussi que c'est une bataille entre des gens qui ont des conceptions différentes du changement, parce que France-Culture, avant tout ça, changeait, en temps réel. Les producteurs certes, mais aussi tous les autres participants, qui contribuaient à ce que c'était, transformaient cette maison et la réactualisaient, et ça n'avait rien de poussiéreux, ni rien d'un ghetto, mots que les actuels dirigeants utilisent pour décrire la situation antérieure. Mais alors, justement, ce qui se passe, c'est qu'il y a une tension, une divergence profonde sur les critères de ce changement. Alors on dit commercial, au fond ça ne me gêne pas qu'il y ait une réflexion de type commercial, mais je voudrais que les animateurs de cette réflexion aillent jusqu'au bout de leur raisonnement, qui consiste en ceci : Ils sont attentifs à une demande, mais ils sont en train de la changer, cette demande. Or, cette demande antérieure existait, elle a été manifestée ici clairement, il y avait des gens attentifs. Et puis il y a aussi un autre problème, si l'on raisonne ainsi, c'est l'offre. Et là, le point est capital. Car qui va vouloir intervenir maintenant dans cette situation ? Pas du tout les mêmes gens… Et ça s'entend très bien dans les manières de s'exprimer. Il y a un ton qui procède du commentaire, de la part de gens qui ne se mouillent pas trop, qui disent "oui, bon, voilà, il me semble, je pense, enfin", les gens qui passent maintenant sur France-Culture, ce sont des gens qui ne savent pas ce qu'ils ont à dire...Ils parlent comme intermédiaires, entre une offre très lointaine, qu'ils fétichisent généralement, mais auparavant, ces gens qui étaient censément très lointains, ils étaient là, ils parlaient directement, justement, et leur voix portait immédiatement. Parmi les gens qui ont réagi à l'appel qu'on a fait, il y avait des gens de Saint-Pierre et Miquelon, de la Réunion, de la province, etc, j'ai des étudiants en province, dont certains suivaient une partie des activités, y compris de recherche qui se menaient, et se mènent heureusement toujours dans les environnements que je connais, et qui pouvaient le suivre, le lundi matin, dans les "Lundis de l'Histoire", par exemple, d'une manière conforme aux critères de ceux qui étaient producteurs de ce travail-là Il me semble très important de pousser le raisonnement du commerce jusqu'au bout : Le commerce dont il s'agit, celui de la réflexion et de la pensée, ce commerce est laminé. C'est très important : Il n'y a plus d'offre, maintenant. Il y a des simulateurs de la réflexion, qui sont des intermédiaires culturels, des gens qui sont là pour faire semblant d'occuper un terrain vaguement culturel, et ça c'est tragique, il n'y a pas d'autre mot. Si les auditeurs sont blessés, c'est à cause de ça. Parce qu'il y avait une réalité de cette relation à la réflexion, à l'écoute, et c'est cette chose-là qui est perdue.

PAUSE MUSICALE

RADIO LIBERTAIRE : J'aimerais bien qu'on s'intéresse maintenant à l'Audimat, parce qu'on a parlé dernièrement des nouveaux résultats de France-Inter, davantage d'ailleurs que de ceux des autres radios, qui subissent cependant cet Audimat. À Radio-Libertaire, ce n'est pas tellement notre tasse de thé, mais pourriez-vous expliquer ce qu'est l'Audimat, son influence, vous y avez un peu répondu tout à l'heure, au plan économique, sur les émissions.

Patrick CHAMPAGNE : Le principe est relativement simple : les sondages d'audience, c'est la même chose, pour la radio, que le tirage, ou plus exactement que la diffusion pour la presse écrite. Pourquoi on veut le connaître ? C'est notamment pour savoir le prix de la publicité qui va passer dans le journal : on veut savoir combien de gens ont vu la publicité pour savoir combien les journaux peuvent la facturer. Ce qui compte, c'est le nombre de gens qui ont eu le journal dans les mains. C'est plus compliqué dans le cas de la télévision ou de la radio parce que la diffusion est immatérielle. Il faut faire des enquêtes spécifiques pour savoir combien de gens regardent ou écoutent. Pour la télévision, on le mesure avec l'audimat (aujourd'hui le médiamat), c'est-à-dire avec un petit appareil qui se trouve sur chaque poste et avec une télécommande sur laquelle il y a Papa, Maman, les enfants, etc., et quand on regarde la télévision, on appuie sur le bon bouton de la télécommande, de manière à ce que les publicitaires sachent qui regarde les spots de publicité. Et à quel moment. En fait, ce système-là a été inventé par et pour les publicitaires, car ce n'est pas du tout à des fins culturelles que cette technique de mesure a été créée mais pour savoir combien de gens, entre les programmes, vont regarder la publicité. Et du même coup, ça a transformé progressivement les programmes, ceux-ci étant de plus en plus conçus pour susciter des audiences qui permettent de faire entrer des recettes publicitaires. Aujourd'hui, on recherche le type de programmes qui peut drainer la quantité de spectateurs maximale devant la publicité Il y a donc eu un véritable retournement de la logique de départ qui se préoccupait davantage de la qualité intrinsèque du programme. Qu'il existe des télévisions commerciales, nous, on a rien contre. Encore que, pour un Français, quand on voit ce que ça donne aux USA, en Allemagne, on atteint là l'insupportable même si, nous aussi, nous sommes déjà pas mal atteints. Le même système fonctionne aussi sur les radios. Il y a des enquêtes régulières pour savoir combien de gens écoutent les radios privées, mais aussi les radios publiques. Il y a peut-être là un problème car on peut se demander pourquoi, dans les radios publiques, on est aussi attentif à ces questions, qui devraient toucher les seules radios commerciales et privées ? C'est la logique de la concurrence. Et quand telle radio publique augmente de 0,3 % ses parts de marché, tous les animateurs et journalistes de la station viennent pousser à l'antenne des cris de victoire absolument dérisoires, remercient chaleureusement les auditeurs en proclamant à l'antenne les derniers résultats de Médiamétrie. Une des ambiguïtés de ces produits culturels que sont les émissions de radio et de télévision, c'est que plus elles rassemblent de monde, et moins elles sont bonnes en termes de qualité intrinsèque, et cela, par définition, car plus on cherche à attirer un public nombreux, et plus cela signifie en fait que l'on cherche à attirer le public populaire, plus le niveau de l'offre doit, nécessairement, baisser. C'est bien qu'il existe des émissions populaires. Ce qui l'est moins c'est qu'elles envahissent tous les médias audio-visuels. Que s'est-il passé à France-Culture, et je conclurai là-dessus ? Les nouveaux responsables ont regardé les sondages plus que le contenu des émissions et ont dit que ça ne pouvait plus durer, que France Culture ne faisait que 500 000 auditeurs qu'il fallait faire des scores plus importants, que les programmes étaient poussiéreux, ringards et qu'il fallait faire du neuf. Comment ? En important sur la station ce qui fait de l'audience sur les médias non spécifiquement culturel. On a fait venir les journalistes médiatiques, des gens qui passent déjà partout, ou qui ont des responsabilités dans des revues ou des journaux, et pire, comme sous l'Ancien Régime, on a quasiment affermé des tranches horaires à des journaux. Vous avez la tranche horaire des "Inrockuptibles", la tranche horaire du journal "Le Monde", celle du "Monde Diplomatique", celle de "Lire" [NDLR : respectivement "La suite dans les idées", "La rumeur du Monde" et "Première édition"], où des journalistes, qui ont pourtant, dans leur journal, une activité qu'on peut supposer être à plein temps, sont encore censés faire une heure de radio tous les jours. Même si ces types sont géniaux, ce qui est loin d'être le cas, le résultat est là : ce sont des émissions bâclées, où ces gens, au lieu d'être de vrais producteurs qui préparent de vraies émissions, sont en fait de simples animateurs qui en direct profèrent parfois des énormités montrant par là qu'ils ont pris connaissance du sujet en lisant, mal, les fiches que d'autres leur ont préparées. Ce qui ne se faisait pas sur France-Culture où il y avait quand même une qualité réelle. Pour clore là-dessus, et cela n'a rien d'accessoire, ces gens-là, ces "vedettes", sont en plus payés sans doute trois ou quatre fois plus que les producteurs maison qui, pourtant font depuis longtemps des émissions plus sérieuses. Il est intéressant de noter que le salaire de ces nouveaux producteurs qu'on a fait venir de l'extérieur n'est pas communiqué par la direction : c'est un secret. Cela en dit long sur la politique de transparence qui est menée actuellement. Si on ne sait pas combien ces nouvelles recrues de la station sont payées, c'est qu'ils savent que cela est un peu scandaleux de payer autant des gens qui travaillent moins que les anciens producteurs, souvent mal payés et qui acceptaient cela parce que au moins ils pouvaient faire la radio qu'ils aimaient.

Éric BRIAN : Il faut, pour compléter un peu l'économie du système, dire que ce n'est pas par hasard que la presse écrite est mobilisée...Car qui peut exprimer le désaccord, notamment des auditeurs ? A part la presse écrite ? Ce n'est pas la télévision qui va nous le dire, puisque la télévision, c'est le modèle suivi... Ce n'est pas non plus la radio d'à côté, à part peut-être ici, pour les raisons énoncées tout à l'heure. Non, c'était dans la presse écrite que la transmission du message (comme quoi ça ne va pas) pouvait passer... Or cette presse écrite est très habilement muselée par ce système de copinage, disons. Nous, on a qualifié çà de médioclature, parce que c'est un système où l'on se renvoie les ascenseurs, les services, d'un petit pôle puissant à un autre petit pôle puissant, pour entretenir, comme ça, une chose totalement fictive, et sous laquelle, peut-être, des réalités vont se manifester... Là, on voit très bien la perversion de ce truc : des horaires abandonnés à des gens qui n'ont pas les moyens de les occuper, le développement d'un bavardage qui ruine l'écoute, et l'étouffement de toute réflexion critique, ou même de toute transmission d'une réflexion critique sur la chose... C'est ça, l'efficacité de ce montage, et je dois dire que ce qui m'a un peu remonté le moral, ces derniers temps, c'est que, qu'il y ait des lézardes dans ce système, assez vite, au bout de quelques mois, que ça commence un peu à craquer ici et là, c'est quand même très bon signe, ça veut dire qu'aussi verrouillé que ce soit, il y a quand même pas mal de brèches dans cet ensemble... Donc je ne désespère pas du fait que par exemple ces gens de presse écrite aient honte de faire ce qu'ils font, parce qu'ils doivent avoir honte, sur le fond...

Antoine LUBRINA : Ce que je voulais dire, c'est que le problème ne date pas de six mois, mais de deux ans et demi. Au départ de Borzeix, et à l'arrivée de Patrick Gélinet. Je me disais qu'avec le niveau d'exigence des auditeurs, et leur nombre, cinq cent mille, ce n'est pas rien, il n'allait pas être possible d'aller bien loin dans la dégradation de la chaîne. Et j'essayais d'écrire, je ne savais pas très bien quoi, mais visiblement, ça se dégradait quand même de plus en plus. Jusqu'à ce que je m'aperçoive qu'à un moment donné, il faut s'organiser et se battre, ce que les libertaires qui nous reçoivent savent très bien. Si l'on veut maintenir une qualité dans quelque domaine que ce soit, il faut continuellement rester vigilant, et lutter. J'ai apprécié la finesse de vos analyses, mais je ne suis qu'un auditeur, et j'ai seulement constaté le bavardage, la musiquette, le vide. Et nous en sommes profondément blessés. Et je pense qu'il faut nous rassembler, comme les producteurs de choux-fleurs ou les marins bretons, etc, quand les gens bougent et bloquent les TGV, ils obtiennent satisfaction. On a donc décidé de descendre dans la rue, et on essaie de rassembler les mécontents comme nous. Ce qui est important.

RADIO LIBERTAIRE : Justement, on va y venir, comment s'organise le combat ? Aussi bien au niveau des auditeurs que des producteurs de la chaîne ?

Antoine LUBRINA : Je suis heureux de constater que peu à peu, on commence à découvrir des gens un peu isolés, y compris en Belgique, il s'y est développé un mouvement important, des gens qui commencent à bouger, et qui refusent, dans ce pays, que cet outil extrêmement précieux pour le confort intellectuel des gens, comme disait Marcel Aymé, pour leur épanouissement, en dehors du commerce, du marché, du capitalisme, disons le mot, périclite davantage. Il est réconfortant de constater que ces gens-là commencent à se lever. Sur le long terme, j'ai confiance, nous gagnerons. Et comme a dit Patrick Champagne, ce n'est pas du tout une question de personne, loin de là. Évidemment non. On n'attaque pas la compétence des gens dans tel ou tel domaine, mais on voudrait des gens comme Borzeix, qui soient dans la culture et non dans le marché ou le spectacle, et on veut préserver cette "boite à outils", comme disait Foucault. Il y a des gens de toutes conditions qui écoutaient cette radio.

Patrick CHAMPAGNE : Pour revenir sur la difficulté à faire émerger cette réflexion, c'est qu'à la fois il est vrai qu'on n'est pas contre tel ou tel responsable, mais contre la politique qui est menée par tel responsable. Or, Laure Adler a tout fait pour rendre un vrai débat de fond impossible. Elle a fait partout des entretiens de complaisance dès le début de son entrée en fonctions dans lesquels, à l'entendre, ce qu'elle faisait était formidable, un point c'est tout. Et quand des critiques se sont exprimées contre la grille qu'elle avait mise en place, elle a donné à entendre qu'il s'agissait d'attaques personnelles. Elle a invoqué des attaques anti-féministes dont les auditeurs n'avaient rien à faire, leur seul problème étant qu'il qu'existe une radio pas comme les autres, qui soit culturelle et de création culturelle... Et dans ce domaine, je reviens à l'audimat, le problème n'était pas de savoir combien de personnes, à l'instant T, regardent tel programme... Si c'est ça la logique, alors il faut s'aligner sur TF1 qui publie, chaque année, des communiqués de victoire pour dire que ses émissions, à savoir l'élection de Miss France ou la Coupe du monde de foot, ont fait le meilleur score. Mais que nous importe le meilleur score ? On cherche la meilleure émission, pas le meilleur score ! Et France-Culture avait cette vocation là. Quand on réfléchit à ce que mesure l'audimat, on voit qu'il ne mesure pas un score dans l'absolu, mais le score le plus élevé possible pour le type de programme proposé. Si l'on donnait, par exemple, une pièce de Shakespeare, même sur TF1 ou sur France 2 en première partie de soirée, ce serait très faible par rapport à une émission de variétés, mais par rapport à Shakespeare, ce serait extraordinaire ! Car cette émission serait rediffusable plusieurs fois du fait de sa qualité, et peut-être qu'en audimat cumulé sur plusieurs années, elle ferait "un score" bien supérieur à celui de Nagui dans "Nulle part ailleurs" un soir...

PAUSE MUSICALE

RADIO LIBERTAIRE : On a eu pas mal d'appels d'auditeurs, pouvez-vous présenter un de ces témoignages...

Catherine D. : Oui, on a eu l'appel d'une auditrice qui écoutait France-Culture depuis une quinzaine d'années, qui nous dit que maintenant, depuis les récents changements, elle n'écoute plus la station, et même se reporte sur Radio Libertaire, c'est donc une nouvelle auditrice pour vous, qui connaît d'ailleurs d'autres personnes dans la même situation, et cette auditrice rapproche le contexte de ce qui se passe à France-Culture de l'évolution générale de la situation de la culture dans le pays, elle a notamment cité les attaques contre l'Education Nationale, et contre les différentes matières qui développent l'esprit critique, qui sont en chute libre, maintenant, dans les programmes.

RADIO LIBERTAIRE : Je ferai une petite remarque : Radio Libertaire a gagné 0,001 % selon Médiamétrie, on est assez contents...

Éric BRIAN : Justement, cette question de l'écoute, pour moi, est capitale, et Champagne parlait de la rediffusion. Cette question éclaire bien la nature du piège où sont tombés les dirigeants actuels de Radio France et de France-Culture : Évidemment, il y a de bonnes émissions qu'ils veulent rediffuser. Mais ces bonnes émissions, qui les ont réalisées ? Évidemment les producteurs. Donc, pour ne pas avoir d'entraves à la rediffusion, la solution est simple : Supprimer d'abord un certain nombre de rediffusions coûteuses comme celles des "Nuits", qui ont effectivement changé, et donc ne plus payer les droits d'auteur, ce qui est très important. Cette question de reconnaissance du caractère d'auteur du producteur permet de bien comprendre la logique qui est à l'œuvre en ce moment, le résultat étant le laminage de cette écoute, c'est cohérent, l'idée de base étant de reprendre des extraits d'émissions, les couper, les remonter, en faire des produits de nature différente, ce qui échappe complètement à leur auteur-producteur initial, ce qui est proprement scandaleux. Si vous faites ça avec un livre que j'écris, j'ai un droit de recours contre cela. Mais mes homologues travaillant sur France-Culture jusqu'il y a peu, ou travaillant tant bien que mal aujourd'hui, ne peuvent plus le faire. Et c'est catastrophique.

RADIO LIBERTAIRE : Je voudrais qu'on explique comment ça fonctionne, le droit d'auteur des producteurs. Il y a donc une première diffusion, et à partir de là des droits sont versés aux producteurs, aux auteurs, aux acteurs, bruiteurs, etc... Si l'émission est rediffusée ultérieurement, rien n'est reversé ?

Patrick CHAMPAGNE : Si. Voilà le système. Si on prend l'exemple des "Nuits" de France-Culture, on peut dire que c'était une idée formidable. Elle consistait à puiser dans le trésor qu'est France-Culture, parce qu'il y a là un stock d'émissions de très grande qualité, et de rediffuser toute une nuit un programme qui était véritablement composé par des producteurs, ce n'était pas un patchwork de n'importe quoi. Les producteurs allaient rechercher dans les archives de France-Culture un certain nombre d'émission pour bâtir, chaque nuit, un nouveau programme. On allait rechercher des émissions produites il y a des années, qui tiennent encore très bien la route en raison de leur qualité. Dans ce cas-là, on payait une rediffusion, de nouveaux droits d'auteur aux producteurs de ces émissions. Que fait-on maintenant ? C'est un peu différent. Ils ont dû garder un petit bout des "Nuits", mais elles ont quand même été très fortement amputées. Cela permet de faire de petites économies, car on rediffuse maintenant des émissions qui sont passées dans la journée. C'est un peu comme sur les chaînes télé du câble où l'on rediffuse en boucle les mêmes programmes plusieurs fois dans la semaine. Et dans ce cas, on ne paye pas plusieurs fois le producteur de l'émission. Ils ont raison, à la direction, de la rediffuser très vite les programmes, parce qu'un mois après, elles ne seront plus écoutables dans la mesure où ces émissions sont liées à l'actualité, sont faites de bavardages sur l'époque et la conjoncture. Cela ne coûte plus rien à la station qui est en train de couper une source de droits d'auteur, d'ailleurs fort maigres au demeurant, qui constituait un tout petit revenu complémentaire pour les producteurs et leur permettait de préparer d'autres émissions.

RADIO LIBERTAIRE : Au niveau des comédiens, puisque nous avons un comédien à l'antenne, j'aimerais savoir quelles sont les retombées en ce qui les concerne, à France-Culture. Quelles sont les conséquences pour le statut des comédiens ?

Laurent LEDERER : Pour le statut, presque rien, mais c'est au niveau du volume d'emploi et de la qualité du travail que nous sommes amenés à faire, qu'il y a des conséquences énormes. A partir du mois de septembre, quand la nouvelle grille de programmes est entrée en vigueur, on a cru tomber dans les pommes, nous autres comédiens. Notre participation aux émissions de fiction, aux feuilletons, aux fictions dramatiques, etc, a été divisée par deux par rapport à l'année précédente. Jusque-là, Radio-France fournissait chaque année environ treize mille demi-journées de travail aux comédiens. C'est beaucoup, dans un univers économique assez difficile pour nos métiers, treize mille demi-journées, pour la profession, ça pèse. Radio-France était le premier employeur de comédiens en France. Je ne dis pas qu'il employait à lui seul plus de comédiens que le reste des productions, mais c'était le plus gros employeur en France. Le premier en volume. A partir de septembre, ça a chuté terriblement. Ce qui nous a amenés, nous artistes, avec les syndicats, le SNLA-FO, et le SFA-CGT, et des non-syndiqués, à participer à diverses formes de lutte, d'actions, qui sont allées assez loin, on est allé envahir le bureau de Cavada un jour, parce que ça faisait trois mois qu'on lui écrivait lettre sur lettre et qu'il ne nous recevait pas. Alors qu'on avait des problèmes dramatiques, vraiment. On se retrouvait au chômage complet. Il y a des gens qui bossaient énormément à France-Culture l'année d'avant, et qui se sont retrouvés avec deux jours de travail sur trois mois, ça pèse lourd dans une vie, et la seule réponse qu'on nous donnait, en face, c'était des discours à la presse, disant : Non, ce n'est pas vrai, ces gens-là, les comédiens, sont des menteurs, il y a plus de fiction qu'avant, ou alors : On est en train de réfléchir pour en mettre encore plus. C'était du domaine du mensonge colossal. On s'est joint aux autres métiers de Radio-France, qui se sont mis en grève, au mois de novembre, on a participé à ce mouvement, et on a réussi à obtenir l'assurance qu'à partir de janvier, davantage de fictions seraient produites qu'en septembre, qu'on reviendrait à un niveau de production et de diffusion de fiction comparable à ce qu'on trouvait les années précédentes sur Radio-France Depuis janvier, hélas, on ne peut être que déçu, parce que ce n'est pas complètement vrai, il n'y a pas eu de retour au volume précédent, parce que ce qui passe maintenant emploie beaucoup moins d'artistes qu'avant, et surtout parce que la qualité littéraire ou dramatique est bien moindre, que les formats courts se sont multipliés, que les choses sont faites à la va-vite, dans des conditions où l'on croit parfois rêver. J'ai écouté l'autre jour ce qui s'appelait une fiction, c'était présenté comme tel dans la grille de programmes, et c'était en fait l'interview d'un auteur, sur un coin de table, c'était pris avec un Nagra, et de temps en temps, au milieu de son interview, l'auteur lisait des extraits de ses textes, et on appelait ça une fiction.

RADIO LIBERTAIRE : C'est effectivement une fiction, oui...( Rires )

Laurent LEDERER : Bon. Nous, en ce moment, on est catastrophé, parce qu'on s'est fait rouler dans la farine, en quelque sorte. Quand on nous a, en décembre, assuré que tout irait bien à partir de janvier, on nous a vraiment roulé, d'autant plus qu'on s'est rendu compte que, depuis septembre, il y a tout un tas d'acquis réglementaires, figurant dans la convention collective, d'obligations de Radio-France, qui ne sont plus tenus. Des choses qui protégeaient nos métiers et nos professionnels, qui ne sont plus tenues. Chaque année, par exemple, au mois de mars, Radio-France est tenue, c'est dans la convention collective concernant les artistes travaillant chez elle, d'organiser une réunion avec les organisations syndicales d'artistes, pour leur dire : Voilà, l'an dernier il y a eu tant d'artistes qui ont travaillé pour Radio-France, un montant de salaires qui s'est élevé à tant, tant de phonogrammes, CD ou cassettes, ont été édités à partir de nos émissions, et se sont vendus à tant d'exemplaires, il y a eu tant d'émissions vendues à l'étranger, tout cela donnant normalement lieu à rémunération des interprètes. Les syndicats recevant cette information pouvaient la répercuter, et en cas de non-paiement d'une émission vendue ou rediffusée, les artistes pouvaient réagir et dire : Attendez, là j'aurais dû être payé, pourquoi ne le suis-je pas ? Cette année, la mi-avril est passée, on n'est plus en mars depuis quinze jours, et on n'a toujours pas reçu de convocation pour une réunion d'information sur ces points-là. Autre exemple : je dois d'abord préciser que ce que disait Patrick Champagne sur les rediffusions rapides, la nuit qui suit la première diffusion, n'est pas vrai pour les comédiens. Contrairement aux producteurs, qui n'ont pas la même convention collective que nous, les comédiens doivent systématiquement être repayés pour une rediffusion, quel qu'en soit le moment. Eh bien, on s'est rendu compte qu'ils ne payaient plus les rediffusions depuis septembre. C'est vrai que nous, nous n'écoutons pas forcément France-Culture toutes les nuits pour vérifier, noter et savoir quel comédien passe, on n'avait pas repéré le truc. Il y a d'autres exemples, ils ne payent plus tout un tas de choses qu'ils doivent nous payer, il y a à la fois un mépris, un amateurisme, de leur part, ils ne savent pas ce que c'est qu'une convention collective, ils ne savent pas ce que c'est que des relations contractuelles...

RADIO LIBERTAIRE : Si, ils le savent très bien, mais ils s'assoient dessus...

Éric BRIAN : Je n'ai pas beaucoup d'illusions sur la méconnaissance de ces gens à cet égard, ils savent très bien ce qu'ils font, et toutes ces attitudes d'effet d'annonce, "bientôt vous verrez en janvier", etc, consistaient à désamorcer la tension qu'il y avait cet automne, et maintenant, avec le recul, chacun peut mesurer le fait que la politique annoncée en septembre est mise en place, que les opérations de liquidation ponctuelle s'opèrent les unes après les autres, et que, de toutes façons, il en restera toujours quelque chose. Mais ce que je veux dire à propos des comédiens, c'est un point très important, c'est qu'il y a eu un discours officiel, pour dire : Vous voyez, ça ne sert à rien, et puis ça fait cette atmosphère un peu bizarre qui fait la différence entre France-Culture et une autre radio, mais justement, le point est là : Qu'est-ce que c'est le boulot d'un comédien face à un texte ? Moi je suis historien, je lis les textes du XVIIIème en permanence, pour moi-même, dans mon for intérieur, je ne sais pas les lire à haute voix. Si je fais une émission sur un truc sur lequel je travaille, même si j'ai le texte sous les yeux et si je dois le lire, je suis nul. Absolument nul. Même un comédien qui ne connaît absolument rien à l'époque sur laquelle je travaille, qui ne connaît pas les enjeux du travail savant sur lequel moi, je bosse, si je lui passe ce texte, là, il a un savoir-faire qui fait que ce texte, il saura le rendre intelligible. Et c'est la raison pour laquelle les comédiens sont indispensables dans une radio culturelle. Et ça, ça a été complètement laminé. Complètement. Cela vient d'être dit, c'est très clair. Alors, pour ceux qui voudraient s'amuser à tester ce que je viens de dire, on pourrait après tout penser que c'est une affabulation, non, ils peuvent écouter. Cet appel que nous avons fait sur le web, qui est sous forme dactylographiée, écrite, sur le web, on peut l'écouter. On l'a fait enregistrer, c'est à dire que dans tout ce mouvement de contestation de l'automne, deux comédiens, Vanda Benes et Marc-Henri Boisse, ont bien voulu l'enregistrer, et tout ça a été monté par Gilles L'Hôte, spécialiste de ce type de production sonore, et on peut tester, voir la différence entre la lecture que chacun fait de l'appel, et celle faite par les comédiens. C'est ça l'enjeu, c'est une démonstration bien réelle. L'idée de base, c'est que si les gens qui savent leur métier font ce métier, on peut rétablir cette écoute.

Antoine LUBRINA : Il faut dire qu'ils sont quand même très forts, ils ont un discours très sophistique, très astucieux, qui embrouille, et qui tend à nous culpabiliser, en tant que nous serions une élite. Alluni, [NDLR : un des initiateurs de "délits d'initiés"] qui m'a dit au téléphone avoir rencontré Cavada au moment des grèves, s'est fait carrément insulter, comme élite, élite crapuleuse qui vient prendre la place des classes moyennes, des braves gens, etc. Alors que les braves gens écoutent France-Culture, et sont complètement désamorcés. Alors on nous parle de féminisme, on nous évoque le boucher de Carpentras, alors que derrière tout cela, il y a simplement, comme vous disiez, un affermage. A des journaux, comme Le Monde...Vous avez passé, dans Actes de la recherche, Patrick Champagne, l'autre jour, un très bon article qui montre qu'ils se sont réunis à quatre pour se congratuler un samedi matin à la fin de l'année dernière, sur la valeur du "Monde", disant leur ravissement de voir, dans le métro, quelqu'un qui lit leur journal. C'est quand même incroyable ! Derrière tout cela, il y a l'argent, qu'on connaît bien, on peut se demander s'il n'y a pas quelques contrats, en douce, quand un livre sorti la veille est commenté dès le lendemain...Quand on a compris qu'ils fonctionnent comme ça, qu'ils dérapent dans l'argent, tout simplement, tout s'éclaire. Mais ils sont très astucieux, ils nous font des discours, mais ne faisant pas ce qu'ils disent, il faut donc conclure qu'ils mentent, en permanence, et ça crée une amertume, on est dépité. On se demande ce qui se passe. Avant tout cela, on était plutôt heureux, c'est un peu comme de boire du très bon vin. Personnellement, j'enregistrais chaque semaine la Comédie Française, je trouvais ça fabuleux, Shakespeare, Molière, Marivaux....

RADIO LIBERTAIRE : Mais tu dis que tu enregistrais sans payer de droits, c'est honteux..( Rires )

Laurent LEDERER : Oui, mais il paye des droits sur ses cassettes vierges, à l'ADAMI, donc ça va, c'est parfaitement légal.

Antoine LUBRINA : J'enregistrais, je réécoutais, je gardais les cassettes, c'est mon droit le plus strict. Il y avait des fictions incroyables, je me souviens de l'Anabase, de Xénophon, extraordinaire.. Il y avait des rendez-vous permanents qu'on pouvait enregistrer... Je vais donner le numéro du Rassemblement : 01 60 16 51 38. Et on vous donnera tous les renseignements sur l'Acrimed, etc, et je rappelle qu'on se réunit tous les lundis, même les jours de fête, au Café Le Sorbon, 60 Rue des Ecoles, Paris 5ème, Métro Odéon, Cluny, Saint Michel, à 19 heures, au premier étage, au fond. Et on a des tas de gens qui viennent, des gens de peu comme disait Sansot. On prend le moral en se battant. On a rencontré des gens passionnants, il y a aussi des Belges, on écoute beaucoup France-Culture là-bas, dont l'un, universitaire, M. Benoît Beyer de Ryke, a suivi Laure Adler dans une réception, pour lui donner une pétition qu'elle n'a même pas voulu prendre et lire, ce qui ne l'a pas empêchée de traiter ce monsieur de minoritaire ! C'est amusant si l'on se souvient qu'il parait que France-Culture est née de la résistance, et aussi que bien des travailleurs de la station ont résisté à la Guerre d'Algérie, y compris chez les comédiens.

Antoine LUBRINA : Je terminerai en précisant que j'ai 59 ans, et que j'aimerais, pour ma retraite, retrouver, en faisant ma soupe, cet outil de savoir extraordinaire, ce réel plaisir de l'écoute.

RADIO LIBERTAIRE : Dernière partie, relativement courte, de l'émission, quelles sont les actions envisagées, à tous les niveaux, pour un changement, mais Éric Brian veut nous dire...

Éric BRIAN : Oui, je réagis sur la démagogie anti-élitiste de la direction de France-Culture et de Radio-France, ça va bien cinq minutes, comme on dit, je n'ai pas de honte à dire que je suis scientifique, j'ai donc à ce titre bien des diplômes scolaires, et que, pour certains des personnages qui dirigent ces radios actuellement, j'apparais comme un membre de l'élite, mais enfin ce n'est pas parce que ces gens sont misérables sur le plan de la culture et de la pensée qu'ils ne gagnent pas des sommes considérables, sans commune mesure avec ce que l'État me donne comme salaire pour faire ma recherche, et la mesure de leur position d'élite en tant qu'audience, c'est à dire la capacité à imposer son bavardage à des millions de gens, cette mesure-là montre bien que M. Cavada ferait mieux de se regarder dans la glace deux minutes. Ce sont des comportements d'une démagogie scandaleuse, qui vont de pair avec tout cet esprit de personnalisation, qui sont de pures perversions de la communication, qui ont comme effet concret de désamorcer la plupart des réflexions élaborées que l'on pourrait avoir sur ce dossier-là, du type de celles que nous avons peut-être élaboré aujourd'hui. Mais enfin, les auditeurs de cette émission ont sans doute compris qu'il ne s'agit pas d'une élite qui défendrait je ne sais quels privilèges....

Patrick CHAMPAGNE : J'ajouterai simplement que c'est quand même une nouveauté dans ce pays, que désormais le terme d'élite soit devenu une insulte.

RADIO LIBERTAIRE : Il y avait quand même un côté péjoratif, faut être juste...On dénonçait un accaparement du savoir.

Patrick CHAMPAGNE : Le mot élite est devenu péjoratif depuis qu'il désigne les gens qui sont au pouvoir, qu'on voit partout, etc. Ce sont ces élites-là qui sont stigmatisées. Mais les élites intellectuelles, je regrette, le terme n'était pas péjoratif, au moins jusqu'à maintenant.

Éric BRIAN : Et je constate que les gens qui ont dénoncé la culture et la pensée comme un geste d'élite, ce ne sont pas spécialement des gens sympathiques, j'ai personnellement une haine radicale de ces gens-là, donc je veux dire par là que je trouve très étonnant que de grands responsables de radios publiques attaquent comme élitistes la culture et la pensée...C'est très grave. On a connu ça dans certains pays, en Allemagne, pendant la période nazie, et ailleurs aussi… C'est très grave. Je ne suis pas en train d'attaquer personnellement pour ses idées tel personnage, je ne sais d'ailleurs pas très bien ce qu'elles sont, car d'une interview à l'autre, ça change. Mais la réalité du geste, la réalité de l'attitude politique, elle est là, et ça c'est tragique.

Antoine LUBRINA : Sous Staline, les élites intellectuelles allaient au goulag. Les élites, pour moi, c'est Galilée, Socrate, Jan Hus. Eh bien on a le même combat. On défend la dignité humaine. Nous, au Sorbon, on rencontre des gens très modestes, qui ne sont pas des intellectuels. Le soir du fameux "Pot au feu" consacré aux auditeurs et à Laure Adler ( 14-12-99, NDLR ), il y avait dans la salle un postier. Il y a des postiers qui lisent des traités ou des œuvres d'art. Il y a des gens tout à fait normaux qui vont écouter les cours du Collège de France, Bourdieu, etc. L'élite, ce n'est pas forcément une affaire de profession. Mais par contre, quand on est dans le commerce et qu'on passe sa vie à accumuler de l'argent tant et plus, on n'a plus beaucoup de temps pour s'ouvrir à Shakespeare et à Molière.

RADIO LIBERTAIRE : Mon propos ne s'adressait pas aux élites culturelles. Il est certain que les anarchistes ont toujours revendiqué l'accès de la culture à tous, et on l'a pratiqué ici, c'est clair.

Patrick CHAMPAGNE : Il nous a donné l'occasion de préciser...

RADIO LIBERTAIRE : Il nous reste peu de temps. J'aimerais qu'on essaie d'entrevoir quelles vont être les actions...

Patrick CHAMPAGNE : Juste un mot. On a parlé de France-Culture, mais il faudrait parler plus largement de Radio-France. Il y a tout un ensemble de projets sur Radio-France qui expliquent ce qui est en train de se passer à France-Culture. Il y a un travail de modernisation, de numérisation, de création de nouvelles stations, etc., et, à la direction de Radio-France, on est pas loin de penser que France-Culture est la cinquième roue du carrosse, on n'en a rien à faire, il y a de moins en moins de moyens qui sont donnés à la station, parce qu'il faut déshabiller là pour aller rhabiller d'autres radios que l'on veut mettre en avant, que l'on veut montrer comme produits dans la vitrine de Radio-France. Et ce qui se passe actuellement, c'est la casse de France-Culture pour essayer de renforcer les autres station de Radio-France. La réflexion et l'action sont à mener, bien sûr, au niveau de France-Culture, mais aussi au niveau de ce qui est en train de se passer plus généralement à Radio-France. Il faut mener une réflexion sur ce que devrait être une radio de service public.

Antoine LUBRINA : Des auditeurs de France-Inter et de France-Musique nous ont confirmé aussi la dégradation des programmes sur ces stations. Puis-je annoncer une action concrète ? Nous, au Théâtre de l'Odéon, le samedi 20 mai à partir de 14h15, à l'occasion d'un débat sur Guy Debord. La société du spectacle, c'est la pleine actualité ! On se rassemblera là pour diffuser des tracts, éventuellement avec une banderole, pour appeler les gens à nous rejoindre dans ce combat, en leur disant de ne pas rester isolés. On avait, il y a un mois, donné à la même occasion un tract à Laure Adler, qu'elle avait pu lire. Mais ça ne lui était pas plus adressé qu'à Cavada, nous en appelons en fait à Jospin et Tasca, qui ont le pouvoir, et qui sont les vrais auteurs d'une politique dont les deux premiers ne sont que les exécutants. A mon avis, c'est ce qu'ils savent faire, pas autre chose.

RADIO LIBERTAIRE : Il ne nous reste que quelques minutes, peut-on parler de l'Acrimed ?

Patrick CHAMPAGNE : L'Acrimed est une association "loi de 1901", qui est née en 95 du souci de mener une réflexion critique sur les médias. On existe depuis quatre ou cinq ans, et on organise chaque mois des débats, et France-Culture nous est apparu, dans le cadre de ces échanges, très vite comme étant un point central, parce que ce qui s'y passe est représentatif de toute une évolution actuelle des médias. C'est comme une loupe posée sur ce qui se passe partout ailleurs, un analyseur. Et on ne se limite donc pas exclusivement à ce qui se passe sur France-Culture. Nous avons un site Internet sur lequel j'invite tous ceux qui veulent savoir ce que nous faisons, et qui comporte spécialement beaucoup de contributions concernant l'objet du débat que nous venons d'avoir. Il y a pas mal de textes sur le site www.samizdat.net/acrimed.

Éric BRIAN : En ce qui concerne Délits d'Initiés, au départ c'est un appel rédigé par quatre personnes, Charles Alunni, Pierre Caye, Bernard Teissier et moi-même, appel qui partait d'une réflexion sur la question des producteurs et toutes les conséquences que cela pouvait avoir à nos yeux, et, de fil en aiguille, à travers l'automne, cela a pris des formes un peu plus développées, non pas un site comme l'Acrimed, mais quelques pages sur Internet, avec des petits moyens, mais ayant beaucoup d'effet symbolique, puisqu'on s'est rendu compte que la plupart des arguments contenus dans ce texte-là apparaissaient, à titre de dénégation, dans les discours des grands responsables de Radio-France. Nous étions donc très satisfaits de l'efficacité de cette sorte de guérilla symbolique, dont le but est très simple : C'est faire comprendre aux animateurs de cette politique qu'ils ne sont pas légitimes dans leur action. Quand ces gens parlent de la défense de la culture, c'est faux. Et c'est une idée qu'on peut faire entendre de cette manière-là, comme chacun d'entre nous arrive à le faire. Alors, les actions par la suite, elles ne sont pas ciblées sur telle ou telle situation aujourd'hui à Radio-France, etc., c'est lié plutôt à un tissage d'instruments de réflexion, de modalités d'intervention, je prends un exemple : Vanda Benes, qui nous a aidé, avec Marc-Henri Boisse, à faire la version sonore de cet appel, donne jusqu'au 30 avril pour être précis, une pièce qui s'appelle "Cahiers brûlés", au théâtre de la Tempête (01 43 28 36 36), une réflexion sur les types d'autorité, l'aliénation politique dans le stalinisme, etc, c'est exactement ce type de réflexion qui est prolongée par ce type d'action. Alors, comme professionnels, donc historiens et philosophes, les participants de l'appel, les scientifiques, interviennent à travers des séminaires, des publications, etc. Le site Internet : http://members.aol.com/kulturkampf/delit.d-inities.html. Il y a un lien avec l'ACRIMED, donc même si vous êtes perdus quelque part, cette dernière vous ramènera à nous, et l'inverse. Ce que je trouve très intéressant, c'est qu'entre tous les mots-clés qui ont été utilisés, on voit bien se tisser tout ce problème de l'écrasement de la culture par toute une autorité politique. Parce que chacun a choisi les mots-clés en fonction d'allusions auxquelles nous pouvions penser, et ces mots montrent très bien la portée des enjeux dont on parle.

Antoine LUBRINA : Je redonne notre téléphone, 01 60 16 51 38, et nous vous aiguillerons nous aussi sur l'Acrimed et Délits d'Initiés, pour la qualité de leurs analyses. On a aussi une adresse Internet, raccfc@yahoo.fr et un site, www.sosfranceculture.com

RADIO LIBERTAIRE : Bien, on a pris bonne note, une heure c'est un peu court, évidemment, il faudra que vous reveniez pour continuer de faire le point sur l'évolution de la situation, sur France Culture et Radio France. Merci et à bientôt....

FIN DE L'ÉMISSION. Transcription réalisée par Claude GAMEZ du RACCFC ( avril-mai 2000 ).


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