Barre de navigation du site


FRANCE CULTURE À LA DÉRIVE

Plus vraiment de savoirs et de critiques, plus vraiment de connaissances et de culture sur France Culture.
Alors quoi ? De l'information, de la communication, du rire et surtout de la musique qui ne fait pas penser. Toutes les opinions sont reflétées mais surtout pas confrontées. Chacun sa vérité et les pouvoirs seront bien gardés. Mais parler de vérité c'est encore trop dire, il s'agit plutôt de sentiments, envies, émotions. L'être humain est considéré comme quelqu'un qui a besoin de se parler lui-même, pour rester comme il est.

Donc on donne à chacun le loisir de s'écouter sur France Culture, satisfaire ses envies sans se poser la question de savoir si elles correspondent à la réalité. La même information, une dépêche AFP est déclinée selon les différentes envies aux différents moments de la journée : "Envie de rajeunir ?" C'est de cette manière qu'on interprète une information sur le clonage le matin. "Envie de progrès ? " Peut-être qu'on ne rajeunira pas mais au moins on en apprendra davantage. "Envie de morale ? " La même information vous permet de poser des problèmes moraux le soir. Mais dans la réalité ce nouveau type de clonage en quoi consiste-t-il vraiment ? Comment ce processus s'effectue-t-il ? On ne le saura jamais, et vous n'avez pas à le savoir, on vous livre clés en main les différentes opinions disponibles sur le marché, vous avez le choix, pas besoin de réfléchir par vous-même, d'autres l'ont fait pour vous. Toutes sortes d'autres, la jolie femme, le moraliste, il y en a pour tous vos goûts. Ni les vérités ni les interprétations ne sont confrontées, elles sont juxtaposées dans un méli-mélo conçu sur le mode de la démocratie de marché.

De même qu'en politique le pouvoir s'obtient par addition des voix des électeurs, sur France Culture la vérité s'obtient par addition des envies. On décide de traiter un thème "le lunaire" par exemple. Rassurez vous il ne s'agit pas de faire intervenir des astronomes ou des géographes ou que sais-je encore, non : on va à la manifestation du 1er mai et on demande aux manifestants des différents syndicats s'ils demandent la lune. On interroge des femmes qui ont vécu la guerre du Liban : ont-elles osé demander la lune ? Et comme il ne faut privilégier aucune opinion on les diffuse en même temps, voix sur voix, on n'entend rien, mais cela n'est pas grave, pendant ce temps vous pouvez rêver à tout ce qu'évoque la lune pour vous, puis comme c'est une émission philosophique , mais oui mais oui, on interroge un philosophe pour savoir si la philosophie est lunaire ou solaire. Drôle de question. Mais l'important est que vous ne vous la soyez jamais posée, comme cela vous ne risquez pas d'être heurté par une réponse qui ne serait pas la vôtre et déçu dans votre petit moi-moi qu'on prétende vous contredire.

Le philosophe évidemment parle des philosophes il cite des noms connus, Nietzsche, Schopenhauer, des noms que vous connaissez peut-être ou que vous auriez envie de connaître. Attention il ne s'agit surtout pas de vous faire sentir vos manques ou d'ouvrir en vous des appétits de savoir qui ne vous rendrait pas heureux sur le champ. On arrête bien vite le Monsieur dès qu'il parle de savoirs reconnaissables comme tels et toutes les 2 minutes on met une minute de musique. Jamais une chanson ou un morceau en entier, des fois que des auditeurs n'aiment pas ou qu'ils apprennent à aimer ce qu'ils n'aimaient pas déjà. Vous êtes comme vous êtes et vous êtes formidables surtout ne vous changez pas !

Malheureusement pendant ce temps il change le monde et ce n'est ni vous ni moi qui le changeons hélas ! Car pour changer la réalité, il faut avoir du pouvoir et du vrai c'est à dire connaître vraiment le monde et non pas seulement son émotion à la vue du monde. Pour agir sur le monde il faut l'analyser. mais ce n'est pas ce que l'on propose à l'auditeur de France Culture. Au contraire on lui fait croire que le savoir des scientifiques, des artistes, des écrivains, ne sont que des opinions comme les autres et que s'ils sont connus c'est uniquement parce qu'ils vont au bout de leurs envies "propres", "personnelles". On ne les interroge pas sur leurs techniques, leurs savoir-faire mais sur leurs goûts, leurs sentiments. On aime bien aussi sur France Culture faire parler un philosophe au sujet de la musique, mais attention pas en tant que philosophe de la musique, surtout pas, en tant simplement qu'il n'y connaît pas grand chose comme vous et moi. Ou alors si c'est un musicien il faut absolument qu'il parle de la peinture.

Donc France Culture est le lieu où l'on vient montrer son impuissance, sa méconnaissance. Puisque ces gens-là connus parlent simplement de leurs goûts sans avoir de compétences pour, et qu'on vous laisse aussi parfois la parole sur France Culture vous avez autant de pouvoir qu'eux, vous aussi vous agissez sur l'histoire ! Au lieu d'analyser le savoir et de critiquer l'usage qui en est fait réellement dans la société, on prétend que la science n'est qu'une opération comme une autre et que le discours populaire est aussi légitime que le savoir savant. On n'a donc pas besoin de vous le transmettre, vous avez vos petites idées à vous et on va vous démontrer émissions à l'appui qu'elles ont autant de valeur que toutes les théories du monde.

Au lieu de permettre à tous d'accéder au savoir et à la compréhension de l'art, on nous fait croire que tout est art et que tout n'est qu'opinion, c'est cela qu'ils appellent la culture. Duchamp a voulu montrer que la bourgeoisie se fourvoyait en sacralisant l'art pour en faire une source de profit. Il est maintenant récupéré comme le père de "tout ce que tu fais est de l'art". Monsieur tout le monde n'a vraiment pas besoin de chercher à comprendre les intentions des artistes et encore moins à le devenir lui-même puisqu'il l'est déjà en repeignant sa cuisine ou simplement en éprouvant une émotion profonde. De toutes les manières les artistes ne savent pas pourquoi ils font les choses, c'est bien connu, c'est leur envie profonde qui parle.

Pourtant il n'y a pas si longtemps quand on interrogeait des artistes, des écrivains, des chercheurs sur France Culture ils racontaient très bien que leur œuvre avait un sens et que c'est dans un certain sens qu'ils voulaient changer notre regard sur la réalité. C'est en changeant le regard sur la réalité qu'on y découvre les possibilités qui nous permettront de la transformer réellement, mais pour cela il faut que le regard soit déjà une action et non pas seulement une opinion ou un sentiment. Duchamp, Picasso, Beckett, avaient des conceptions de l'art même s'ils n'auraient pas su dire, nul n'est Dieu, pourquoi c'est celle-là qu'ils avaient. Cependant entre leur désir profond et l'œuvre de toute une vie, un long chemin rationnel a été parcouru consciemment par eux et de cela ils brûlaient de parler. Ils se sont posé des questions et ils ont trouvé des réponses concrètes. Certaines ne les ont pas entièrement satisfaits et ils pourraient vous dire pourquoi.

Mais sacraliser l'art a servi à la bourgeoisie à faire bien du profit. Et la valeur extrême attachée à votre émotion propre fait faire bien du profit également. Car il ne faut pas oublier qu'on vous vend des produits sur France Culture. Les livres qui sortent sont loués sous toutes les coutures, point de critiques, il faut créer des emplois, il s'agit que l'auditeur soit rentable et qu'il ait envie d'acheter : point d'analyse dans laquelle on pourrait se faire une idée, point de spécialistes qui pourraient donner le contenu, non, des journalistes qui communiquent leurs rires, leurs plaisirs, leurs émotions : vous aussi vous serez bouleversés, croyez-nous sur parole.

Vous voulez avoir du pouvoir, soyez capable de parler de l'actualité. Dans la journée on vous offre les uns après les autres tous les points de vue sur les thèmes du jour : le festival de Cannes par exemple. Des journalistes qui ne connaissent rien au cinéma viennent donner leur sentiment on prend des réalisateurs qui viennent dire tout et n'importe quoi puisqu'ils ne parlent jamais de ce qu'ils font mais de l'avenir du cinéma français. Au bout de 3 jours on a entendu tout et son contraire puisqu'on prend soin de n'inviter à chaque fois que des gens qui n'ont aucun titre à en parler et qui ne se contrediront pas. Ce sont des réalisateurs qui parlent d'économie, des actrices qui parlent d'industrie et des producteurs qui parlent d'art ou de mise en scène. Comme dit J-M Colombani qui anime le débat, "je fais de la politique internationale puisque le cinéma est international". Puisque le SIDA est aussi international pourquoi M. Colombani ne donne-t-il pas son "sentiment profond" sur les nouveaux médicaments ?

Ce n'est plus la "société du spectacle" dont Debord disait qu'elle donnait "l'illusion d'intégration hiérarchique", c'est "votre vie n'est qu'un spectacle". De quoi vous plaignez vous puisque les médias vous regardent ? Vous voulez savoir ce qu'est le cancer on vous donne le vécu de l'infirmière, le vécu du médecin, celui de la femme de ménage et, last but not least, celui du cancéreux. Le savoir biologique, oubliez-le, il ne vous servira à rien dans cette grande fiction dramatique qu'est la vie.

Déjà sur Internet vous pouvez assister en direct et 24h sur 24 à la vie ordinaire d'étudiants américains. Bientôt sur France Culture on aura des émissions "en direct live" où Monsieur Durand demandera en vrai à Mme Durand "passe moi le sel". Et alors ? Nous sommes tous égaux. Pourquoi Georges Perec décrirait-il tout ce qu'il voit au carrefour de l'Odéon sur la radio pendant des heures et que vous ne pourriez pas faire enregistrer vous aussi votre quotidien. Vous n'avez pas besoin de devenir écrivain, de vous donner du mal de subir des échecs, et de voir vos romans couronnés, on vous prend comme vous êtes : totalement impuissant et c'est pour cela qu'on vous aime. Écoutez nos publicités, pour les disques produits par France Culture, pour les films produits par France Culture, cela fait marcher le commerce et vous évitera d'être au chômage.

De toutes les manières France Culture n'est pas raciste et si vous êtes chômeur vous avez le droit comme tout le monde de parler sur France Culture. Votre détresse nous intéresse ! Votre impuissance est passionnante. Pendant ce temps des gens créent de nouveaux marchés, réorganisent l'économie, prennent des décisions politiques, deviennent artistes. Vous, contentez-vous de consommer et venez nous parler quand vous voudrez, c'est cela faire l'histoire, et sur notre radio il y en a pour toutes les opinions. Des savoirs ? Mais pour quoi faire ? La science est si incertaine, ses résultats parfois si calamiteux ! Vous en savez quelque chose vous auditeurs lambda qui êtes pressurés dans votre travail : donc ne cherchez plus à savoir, tout cela ne vaut pas le coup, creusez vos émotions, bouleversez-vous sans approfondir, écoutez des bouts de musique et ne prenez surtout pas la science et l'art au sérieux : faites comme nous.

Malheureusement ce n'est pas le consommateur en choisissant une cravate bleue plutôt que noire, une émission de rap ou de tango, qui fait l'histoire. Ce sont les gens qui exercent du pouvoir : à la tête des entreprises, dans les ministères. L'esclave heureux qu'on admire son esclavage est l'idéal de la société France Culturelle. Acceptez votre soumission, ceux qui dirigent sont à votre service, ils vous regardent et travaillent à vous faire rêver le monde. Votre rêve illusoire vaut tellement mieux que la triste réalité, que vous devriez plutôt nous remercier de ne plus jamais vous la livrer.

Danielle
Adhérente du RACCFC
Juin 2000
 

Retour à la page principale
Contact