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La stupéfiante vacuité des Matins de France Culture
  
L'émission du matin de la chaîne qu'on appelle encore pour rire France "Culture" constitue un morceau de choix pour qui étudie l'effondrement intellectuel du service public de radiodiffusion. Elle fait partie en effet des six émissions les plus inutiles de la station [1], celles avec lesquelles l'auditeur est absolument certain de ne pas se cultiver, tout en étant une des préférées de la Direction qui aime à en vanter l'audience. En effet, il serait difficile de vanter autre chose dans cette fanfare matinale des trompettes de l'insignifiance.

France Culture a longtemps résisté à la sottise médiatique, en proposant jusqu'à 1999 de la culture humaniste et encyclopédique à l'heure du petit déjeuner, notamment avec ses fameux Chemins de la connaissance. Désormais elle se satisfait de faire chaque matin le même cocktail anesthésiant que toutes les autres chaînes généralistes, à savoir de l'actualité jusqu'à plus soif, de la politique politicienne, de la promotion culturelle et une intense propagande socio-libérale. Comme en plus ce brouet communicant nous est concocté par des "Sciences Po" menés par un fanfaron histrionesque, le résultat constitue une démonstration accablante de ce qui arrive lorsqu'un média est verrouillé par des notables.

Avant de faire la revue de détail de cette émission superfétatoire, on recommandera l'expérience suivante :
1/ pendant deux heures, écoutez l'intégralité du 7-9 de France Culture
2/ lisez en un quart d'heure les 12 premières pages du quotidien gratuit 20 minutes
3/ demandez-vous quel média vous a transmis le plus d'informations sans bavardages inutiles

Le journal de 7h, 8h et 9h
Au fil des années et des directions, le journal de France Culture est devenu gentiment médiocre, malgré l'excellence d'une partie de la rédaction. Des micros trottoirs, du compassionnel, de l'orgie électorale, des jingles stupides ; la même actualité, les mêmes redites et les mêmes silences obstinés que la plupart des autres médias. Pour ne citer que deux exemples récents, on nous parle chaque jour du nucléaire iranien et jamais des centaines de grèves qui agitent ce pays. Plus près de nous, même silence de la chaîne sur les grandes grèves étudiantes en Grèce. Hélas, Radio France est bien une radio gouvernementale.

La chronique économique de 7h15
"Amis de l'économie, bonjour". Voilà comment débute cette chronique clownesque bourrée d'erreurs factuelles. On se demande quel improbable think tank ministériel a décidé qu'une chaîne culturelle devrait convertir les français aux fonds de pension par le moyen de sketchs pour collégiens. On appréciera aussi que dès 7h15 France Culture invite l'auditeur cultivé à compter ses sous. Il ne lui manque plus que les cours de la bourse à 7h18 et l'astrologue de la Sorbonne à 7h21 pour réaliser les plus ingénieux placements. Une évolution somme toute logique dans une vision purement consumériste de la "culture", devenue sur cette chaîne une sorte de distraction pour les salariés stressés du Nouvel ordre mondial de l'inculture.

Les enjeux internationaux de 7h20
Exception du matin et seule survivance de l'ancienne grille des programmes de 1997. Par le sérieux des sujets, de la préparation et des questions, cet espace de rigueur détonne quelque peu dans un marigot matinal où clapotent les lieux communs.

Le journal de l'Europe de 7h30
En général restreint à l'Europe des six, voire carrément à la France, cet intermède "européen" fait double emploi avec le journal.

La revue de presse européenne de 7h35
Moment particulièrement pénible que cette revue inintéressante de la presse inintéressante. L'amour des gens de médias pour leur nombril est toujours fascinant pour l'homme de la rue. Cette revue de presse permet toutefois de constater que la presse européenne est aussi moutonnière que la presse française.

L'invité de 7h40
Sans cesse interrompu par la structure de l'émission, les chroniques, les jingles ou par les remarques claironnées de l'animateur, l'invité en est réduit à saucissonner son discours. Cela peut rester intéressant si l'invité est charcutier, mais le cas est plutôt rare. Comme d'autre part l'émission est aux mains de gens de Sciences Po, le choix des invités est de plus en plus politique et de moins en moins culturel. Il y a d'ailleurs désormais dans les Matins des semaines complètes sans sujet culturel. De plus, en matière d'histoire des idées, tous les ouvrages stimulants, atypiques, iconoclastes, politiquement incorrects, publiés en dehors des coteries en place ou bien gênants pour le pouvoir sont soigneusement et rigoureusement ignorés par la chaîne.

La chronique de 7h55 ( Figaro ci )
Chronique sans intérêt de l'actualité politique par un ponte du comité éditorial du Figaro. Depuis 1999, les nouveaux maîtres de France Culture considèrent apparemment le bulletin de monsieur Dassault comme un phare de la vie intellectuelle chargé de guider le service public. Avec un tel phare, le risque d'être aveuglé est fort heureusement minime.

La chronique de 8h15 ( Figaro là )
Chronique de géostratégie fantaisiste, pronostics loufoques, soutien à l'équipe Bush et potins des services secrets kirghizes par un autre ponte patenté du comité éditorial du Figaro. Cette chronique est souvent faite par téléphone dans un environnement des plus bruyants. C'est aussi la seule chronique intergalactique où l'on a pu entendre un commentaire éclairé sur la victoire électorale du Fatah le matin même de la victoire du Hamas ! Les autres producteurs de la station apprécieront de savoir que cette guignolade est payée 3800 €. [2]. France Culture a en effet la malchance de connaître l'ordre injuste depuis 1999.

La chronique de 8h30
Relevé minutieux et obsessionnel des petites phrases complètement inintéressantes du microcosme politique dont personne n'a que faire (à part les gens de Sciences Po). Très sollicité pendant toute l'émission, l'indicateur de moraline de Radio Douleur du Monde explose en général vers 8h31, lorsque le chroniqueur indigné sort son épée de plastique pour fustiger toutes les injustices.

Le débat de 8h35
Comme souvent sur France Culture désormais, ce moment de "débat", généralement "entre hommes", est surtout l'occasion de bavardages de comptoir entre personnalités interchangeables toutes issues du même moule social CSP+++. Par les questions jamais posées, on devine une absence totale d'empathie avec les auditeurs des classes populaires. On citera pour mémoire l'unanimité de l'équipe sur le oui au référendum de 2005. Pour ce quintette de spécialistes du vent qui se soucie de la culture comme d'une guigne, les diverses élections sont d'ailleurs l'occasion de passer des mois et des mois à faire des pronostics avant et des commentaires après, tous d'une confondante inutilité.

Le portrait du jour de 8h55
Bien que ce journaliste ait un côté baroudeur assez sympathique, sa mission sur France Culture est particulièrement triviale : relever les potins et faits divers de la planète pour le plus grand plaisir de la culture zapping qui sévit chez les élites acéphales de Radio France.

Les insupportables animateurs des Matins de France Culture
Cher lecteur, ce paragraphe drôle et désobligeant a été caviardé par le bataillon d'avocats qui relit tous les articles de DDFC.

L'audience
Malheureusement pour les amoureux de poésie, de connaissances, d'humanisme, d'éducation populaire ou d'immersion dans la haute culture, les Matins de la Sottise ont su trouver un public friand de hamburgers radiophoniques. Le chiffre de l'audience cumulée entre 7h et 9h est donc parait-il en hausse ! On se permettra de supposer que la fuite récente de plus de 250.000 auditeurs de France Inter en quête d'un 7-9 n'y est pas étrangère. Cela dit, il faut relativiser : malgré tous les efforts de la chaîne pour être fun, son audience est toujours à 50% en dessous de Rire & Chansons

En conclusion
Il est difficile d'écouter cette émission jusqu'au bout sans être pris d'une coupable mais irrésistible envie de botter des derrières. Cette émission de saupoudrage mériterait d'être entièrement rénovée et repensée -- si penser est toujours possible en ces lieux -- et de plus raccourcie de moitié. Jusqu'en 1999, avant d'être entièrement saccagée par les zélateurs de l'Etat prébendier PS-RPR, France Culture fonctionnait bien plus harmonieusement, dans un rapport raisonné à l'actualité, sans aucune chronique et sans embaucher le moindre histrion mondain.

Cette émission coûte d'autre part beaucoup trop cher à la chaîne et le reste des programmes s'en ressent. Par exemple, le budget alloué pour produire chaque mois 100 chroniques superficielles -- sitôt diffusées, sitôt oubliées -- permettrait aisément de produire chaque mois 20 documentaires matinaux soignés, rediffusables pendant des années. Depuis 2002, l'auditeur lève-tôt a été privé de rien moins que 1300 Chemins de la connaissance. Après, il ne faut pas s'étonner de la progression de l'inculture.

Il faut aussi noter qu'en août 2006, la matinale de France Culture a accueilli les bricolages radiophoniques à deux balles des élèves journalistes de Sciences Po Paris. Tant mieux pour eux, tant pis pour l'auditeur. On ne saurait mieux dire que France Culture n'est plus au service du public mais au service de quelques uns. En particulier de cette envahissante officine de la rue Saint-Guillaume qui a la particularité de former simultanément des communicants, des journalistes et des politiciens -- que le monde nous envie -- à l'exclusion de tout poète. C'est peu dire qu'ils n'ont rien à faire sur une chaîne culturelle.

Bref, on attend toujours le retour de la culture et le départ de la sottise sur cette tranche horaire du 7-9, la plus commode à écouter pour bon nombre d'auditeurs

DDFC
24 avril 2007
Adresse de l'article : http://ddfc.free.fr/matins_fc.htm
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[1] Les Matins, Tout arrive, Travaux publics, Les pieds sur terre, l'Avventura, Ca me dit l'après midi...
[2] Interview dans Libération le 19 juin 2004

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